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Illumina
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26 octobre 2007

L'importance des thèmes

Il y a quelque temps, je me faisais la réflexion que le thème d'un jeu a souvent une importance que même les plus grands sous-estiment parfois. Cette réflexion m'est venu avec un exemple particulièrement révélateur. Quand je vois le succès de Guitar Hero, je pense que Konami doit un peu avoir les boules. Parce qu'ils ont fait Guitar Freaks, sur lequel pompe allégrement Guitar Hero, mais qu'ils n'ont pas été capable de le faire sortir de sa niche pour toucher un large public, à cause des playlists et d'un habillage pas forcément adaptées aux goûts des occidentaux.

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Effort qu'un autre spécialiste du jeu musical, Inis (Gitaroo Man, Ouendan...) a réalisé en proposant une version occidentalisé de Ouendan intitulée Elite Beat Agents. Le succès est mitigé, mais au moins, ils ont tenté leur chance : cela a permis d'ouvrir de nouveaux marchés au titre, satisfaisant les fans par la même occasion, trop heureux de pouvoir jouer à un nouveau volet. Résultat des courses, Guitar Freaks était peu connu du grand public et restera dans l'obscurité alors que Guitar Hero et ses suites font un carton avec plusieurs millions d'exemplaires vendus. En gros, Guitar Hero a réussi là où Guitar Freaks et globalement Konami, a échoué : faire sortir le jeu musical de sa niche, avec un concept pourtant très similaire. Sans parler de Rock Band, le nouveau titre des concepteurs initiaux de Guitar Hero, dont le concept existait en partie déjà dans les salles d'arcade japonaise, toujours made in Konami.

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Dans un sens, c'est un pillage, mais dans un autre, si Konami avait été capable de sortir sa franchise de sa niche, de l'exporter et de l'ouvrir, c'est eux  qui auraient touché le gros lot. Parfois, ça se joue à peu de choses. L'habillage de Guitar Hero n'est pas exceptionnel mais largement plus agréable à celui de Guitar Freaks, longtemps enfermé dans des images toutes moches un peu trop conceptuelles. Si le gameplay a été quand même amélioré entre GF et GH (ajouts de touche, système de Star Power...), j'ai du mal à comprendre pourquoi Konami n'a jamais essayé d'adopter une démarche plus internationale. Ils doivent s'en mordre les doigts à l'heure actuelle.

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Le cas Guitar Freaks / Guitar Hero est flagrant : une playlist plus ciblée, pouvant satisfaire plus de personnes et avec un gameplay équivalent (en très gros), le succès de Guitar Hero a enfoncé celui Guitar Freaks. Tout ça pour dire, qu'il ne faut pas sous-estimer les thèmes, celui peut faire la différence même avec un concept de jeu similaire. Surtout auprès des personnes expérimentées en game design qui s’imaginent que seul le gameplay fait le succès d’un jeu. A l’inverse, chez les personnes qui n’ont pas une bonne connaissance du game design, la tendance est plutôt à survaloriser le thème en imaginant qu’un thème original donne forcément un jeu au gameplay original, ce qui est une grossière erreur.

Le thème et l’univers d’un jeu sont réellement importants, ce sont eux qui vont donner la couleur du jeu auprès du public, qui vont lui donner la première envie, bien avant qu’il ne soucie du gameplay. Le thème des jeux vidéo est quelque chose qui suit naturellement les tendances de la société, et notamment du cinéma.

Dès qu’un univers cartonne au box-office, vous pouvez être sûr que :
1) Beaucoup de films vont voir le jour dans un thème similaire, à rythme régulier
2) Comme les jeux suivent les tendances des autres médias, beaucoup de jeux vont sortir sur ce thème, dont les adaptations vidéoludiques des films sortis dans les salles obscures.

Alors dans ce cas, pourquoi est-il difficile de suivre les tendances ? Parce que le temps d’un film sorte et cartonne, il se passe un an et demi voire deux ans avant que le jeu vidéo sorte. Pour contrer cela, les grands groupes font maintenant développer les films en même temps que les jeux, pour faire des sorties simultanés sur plusieurs médias. Parfois, cela peut donner de bons résultats, parfois c’est sans intérêt. Les règles pour faire un bon film et faire un bon jeu sont très différentes, mais il y a également le fait qu’une bête adaptation d’un film en jeu sans réel apport ne sert pas à grand-chose.

Le tentative réalisée avec .Hack chez les japonais est intéressante dans l'idée : il s’agissait de sortir plusieurs produits basés sur le même univers, sur des médias différents (bande dessiné, série animé, jeux vidéo…). Ainsi, un jeu vidéo peut très bien apporter quelque chose de plus (et de moins) par rapport au support initial, et c’est cette différence qui peut constituer son intérêt. Plus il y a de différences entre une même histoire sur différents supports, plus cela peut avoir d’intérêt.

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Un excellent exemple est celui de Blade Runner : à la base, on trouve un bouquin de Philip K. Dick, grand manitou de la SF, puis une adaptation cinématographique signée Ridley Scott à la fois proche et différente, mais d’une qualité hors du commun. Ce n’est pas qu’une simple transposition du bouquin, c’est une histoire différente, dans un univers proche et dont la portée diffère totalement de l’œuvre originale. Il y a des pertes (l’aspect théologique du récit original) mais également des apports importants, notamment en terme d’images et d’univers. Le jeu suit le même chemin, même si son apport est largement moins important (ce qui ne l’empêche pas d’en faire un très bon jeu). Pour moi, il s’agit d’un cas idéal : chaque média apporte quelque chose en fonction de sa nature profonde. Du fait, on n’a pas l’impression d’avoir vécu trois fois la même histoire, dans le même univers. Et cet univers, qui a fasciné, a donné naissance à des clones comme le jeu Snatcher de Hideo Kojima, qui apportent également autre chose. C’est une démarche créative qui a abouti principalement grâce aux talents des différents intervenants.

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Dans bien des cas, les intéressés se contentent de surfer sur les vagues crées par les autres avec un minimum d’efforts (et en général, un gain mnimum également). Car l’idéal, dans l’exploration d’un thème, est d’être le premier. Mais il faut également que ce thème corresponde aux besoins de l’inconscient collectif à ce moment. Même sans être le premier, il arrive qu’un film, souvent un blockbuster, relance toute une thématique qui n’était plus utilisée depuis de nombreuses années. C’est le cas de l’adaptation cinématographique de Lord of the Rings, réalisée par Peter Jackson. Il est difficile de savoir si c’est un soudain regain d’intérêt collectif ou si c’est simplement la sortie du film qui a relancé les univers d’Heroic-Fantasy. Mais le résultat, lui, est facilement mesurable. Chaque année, il sort un film d’Heroic-Fantasy à la même période, aidé par la vague Harry Potter, bien qu’il ne s’agisse pas exactement d’Heroic-Fantasy dans le cas de ce dernier : Eragon, Les chroniques de Narnia…

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Ironie du sort, il arrive que ce soit les mêmes développeurs qui réalisent les adaptations et qu’ils utilisent les mêmes routines et les mêmes moteurs dans leurs adaptations. Ainsi Stormfront Studios a réalisé l’adaptation des Deux tours, puis a fait un petit tour dans le côté Donjon & Dragon avec Demon Stone, avant de passer à Eragon et s’atèle actuellement à une nouvelle adaptation : les Chroniques de Spiderwick. Inutile de s’étonner de retrouver des similitudes entre tous ces jeux. Est-ce pour autant un mal ? Pas forcément, la spécialisation permet de rentabiliser les coûts de développement (pourquoi se priver ?) et de se concentrer sur la qualité, renforcée par l’expérience acquise par les game / level designers. Le problème est que dans le cas présent, les critiques des jeux sont de plus en plus mauvaises. Les deux tours avaient fait un gros effet, Demon Stone déjà beaucoup moins et Eragon n’est clairement pas resté dans les mémoires. Dans ce cas, il ne reste pas grand-chose : des jeux qui se ressemblent sans tirer profit des œuvres initiales, aucun renouvellement et une qualité en baisse, alors que l’on était en droit d’attendre le contraire (enfin, du côté des joueurs gamophiles -on va appeler ça comme ça-, les joueurs occasionnels ne se soucient pas trop des développeurs et parfois pas du contenu d’ailleurs, ce qui amène à ce genre de spirale vers le bas…mais je m’égare).

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Typiquement, dans le cas de ces licences, le gameplay n’a pas fondamentalement évolué. On change quelques petits systèmes et c’est reparti pour un tour, comme si l’on faisait un copier-coller du gameplay en changeant juste le thème. Cela montre une nouvelle fois qu’il existe bien une franche séparation entre les deux.

La balance entre les deux n’est pas souvent bien faite, même chez les professionnels. Certains pensent que le joueur se moque complètement de tout ce qui ne concerne pas le gameplay, et c’est une grosse erreur. Certes, un jeu mauvais restera un jeu mauvais si le fun n’y est pas, rien ne pourra changer cela. Pourtant, il existe des sources de fun qui ne résident pas dans le gameplay, d’ailleurs les émotions distillées simplement par le gameplay sont en général simples et peu variées. En se reposant uniquement sur celles-ci, le jeu vidéo ne franchira jamais les étapes le séparant de la richesse des autres médias.

Au fond, beaucoup de personnes ne se soucient pas de cela et on ne peut pas leur en vouloir. Il n’est déjà pas une chose aisée de faire de bons gameplay et de bons jeux. Comment parler de messages politiques quand on a déjà du mal à concevoir un jeu décent ? Il y a des questions qu’on ne pose toujours pas, le problème est que l’on englobe tout ça sous la forme d’une généralité que l’on dissimule soigneusement dans sa poubelle et que l’on oublie. Avec quelques exemples qui nous aident à oublier de nous soucier de cela, comme le fameux cas de Metal Gear Solid 2, abusant d'une tonne de dialogues sans jamais aller à l'essentiel.

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Un jeu peut être amusant sans rattacher cela au gameplay. Les quelques interactions d’un Phoenix Wright sont dérisoires en terme de gameplay, mais tout le contexte, le fait de confronter une hypothèse à un problème est amusant. Sans parler des coups de génie narratifs et esthétiques qui ont permis de faire passer le thème de l’avocat, peu aguicheur au premier abord, en succulente représentation théâtrale des investigations d’un avocat pas comme les autres. Tout cela donne du plaisir, donne de la qualité au jeu et même si tous les genres ne s’y prêtent pas, c’est un élément à ne pas oublier. Ce qu’il y a autour du gameplay, dont le thème, compte au moins autant et a tendance à être sous-estimé.

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Maintenant, comme dans tous les excès, il y a l’excès inverse, celui de compter sur le thème pour suppléer aux faiblesses du game design, en qualité ou en innovation. Le thème n’est pas un gameplay en soit, et ne le sera jamais. On peut se servir du thème pour enrichir le gameplay, mais au niveau le plus abstrait, l’action peut être exactement la même dans des thèmes différents voire opposées. Par exemple, prenons un jeu de tir classique (FPS tiens). Qu’est-ce qu’on y fait ? On y shoote des méchants qui nous menacent. En terme de gameplay, en réduisant au minimum (sans gestion de ressources et tout de patratra classique), cela se traduit par quelques verbes :

-    Distinguer (les méchants du reste, décors, autres objets interactifs, gentils…)
-    Viser (la sale gueule d’un méchant pas beau)
-    Tirer (une boulette sur un ennemi)

Le résultat final est : on a tué un ennemi (le monstre se tord de douleur sous des flots de sang en agonisant / vous insulte dans une langue étrangère non identifiée).

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Maintenant, prenons un contexte qui n’a strictement rien à voir. Nous sommes dans un jeu à la première personne où l’on doit envoyer de l’eau sur des plantes pour les faire grandir. Pas de problèmes, cela reprend également des codes culturels connus, au moins aussi bien que l’exemple précédent. Comment traduirait-on les actions de base ?

-    Distinguer (les plantes du reste)
-    Viser (une plante)
-    Envoyer (de l’eau sur la plante)

Le résultat final est : on a aidé la plante à croître. Cette dernière croît sous vos yeux ébahis et la petite plante donne un arbre gigantesque débordant de vitalité.

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Vous voyez où je veux en venir ? On a effectué exactement les mêmes actions, dans un contexte différent. Bien évidemment, les valeurs qu’il y a derrière ne sont pas du tout les mêmes, mais fondamentalement, quelque chose d’abstrait comme les valeurs ou la thématique ne sont pas amusants. J’ai un peu exagéré les exemples (un ennemi qui ne tire pas et reste stable et forcément caricaturale), mais l’idée est là. Il ne faut pas confondre le thème et le gameplay, même lorsqu’ils sont intimement liés, ce qui représente la situation idéale. C’est sûr, là, mon FPS, il a un thème et un gameplay classique. L’autre jeu, mon FPG (First Person Gardener), il a un thème un peu moins courant donc plus original mais un gameplay tout aussi classique.

La moralité, c’est quand quelqu’un vous dit « j’ai plein d’idées de jeux », il faut clairement distinguer les idées de thèmes et les idées de gameplay, car les idées de gameplay sont souvent moins variées que les thèmes. Cependant, il ne faut pas pour autant se braquer parce qu’un thème particulier peut très bien générer un gameplay qui lui est propre, dans une certaine mesure. Et surtout, comme le thème a également une importance considérable, il ne faut pas négliger les vertus d’un thème fort et original, qui a le potentiel de donner de la richesse et du sens à produit, en plus d'ouvrir les portes-monnaies des consommateurs. Mais en aucun cas il ne peut passer pour un gameplay et le remplacer.

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